Le stockage de l'hydrogène
L’hydrogène (plus précisément le dihydrogène H2) est ce que beaucoup perçoivent comme la prochaine révolution énergétique.
En effet, son abondance, ses émissions polluantes nulles, et son importante capacité énergétique (jusqu’à trois fois celle de l’essence) assurent un avenir certain pour l’hydrogène, en particulier dans le domaine du transport. Il y a cependant deux problématiques majeures à la généralisation de l'hydrogène. La première d’entre elles est la production coûteuse et complexe de cette ressource. La deuxième problématique est le stockage de l’hydrogène.
Les avantages des carburants classiques sont les inconvénients de l’hydrogène et inversement. Le pétrole est simple à extraire, très facile à transporter et son utilisation ne requiert aucune condition particulière si ce n’est un raffinage. C’est pourquoi il est depuis plus d’un demi-siècle à la base de notre consommation d’énergie.
Fabriquer de l’hydrogène est coûteux, peu rentable, et potentiellement nocif pour l’environnement (selon la méthode de fabrication) et le stocker est bien plus complexe qu’il n’y parait.
Réservoirs cryogéniques pour le stockage d'hydrogène sous sa forme liquéfiée à -253°C et 300bars - © DLR, Cologne
Modes de stockage de l’hydrogène
Quand bien même le stockage pose quelques problèmes de taille, l’hydrogène a néanmoins l’avantage de pouvoir être stocké sous différents états : gazeux, liquide voir solide dans certains cas.
État | Principales applications |
Gazeux | Transports, électrification |
Liquide | Aérospatiale, recherche |
Solide | Prototype, recherche |
Stockage d'hydrogène gazeux
La forme la plus courante sous laquelle est stocké l’hydrogène est sous forme gazeuse, essentiellement utilisée pour les transports.
Pour être intéressant et compétitif par rapport aux hydrocarbures conventionnels, le monde du transport a besoin d’un carburant qui soit tout autant voir plus énergétique et compact. L’hydrogène possède une forte densité énergétique, mais sous la forme gazeuse, il n’est pas compact à pression atmosphérique, c’est le gaz le plus léger et le moins dense (0.083 g/l à 20°C et à 1bar). C’est pourquoi ce gaz est fortement compressé avant d’être utilisé. L’énergie nécessaire pour comprimer l’hydrogène à 700 bars est de 22MJ/kg.
Trois types de réservoirs à hydrogène existent en fonction de la pression qu’ils supportent. Il existe des réservoirs à 350 bars, à 500 bars et à 700 bars, en fonction de leurs utilisations. Idéalement, l’hydrogène devrait être compressé à 700 bars. Au-delà, l’hydrogène ne se compresserait plus de manière proportionnelle. Mais plus il est compressé, plus il est gourmand en énergie.
Difficultés rencontrées
La fabrication d’un réservoir pouvant accueillir une telle pression nécessite des matériaux robustes et durables ainsi qu’un contrôle très strict.
Le développement de stations-services hydrogène requière une installation bien particulière. En effet, pour être introduit dans le réservoir, l’hydrogène doit être comprimé à très haute pression. Cela demande une grande quantité d’énergie. De plus, l’hydrogène doit être refroidit par un échangeur de chaleur durant la compression pour éviter de surchauffer (plus la pression augmente, plus la température augmente).
Avant de pouvoir utiliser l’hydrogène, il faut pouvoir le fabriquer. Les différents processus de fabrication représentent eux aussi un frein au développement de l’hydrogène dans la circulation.
Les risques encourus
Développer, construire et industrialiser un réservoir capable de supporter des milliers d’hectopascals représente un réel casse-tête. Qui plus est, ce n’est pas particulièrement rassurant lorsque cette réserve se situe juste derrière le conducteur d’une voiture ou sur le toit d’un bus.
Tous les risques sont liés aux fuites que pourraient avoir ce type de réservoir. Les risques peuvent être mineurs ou majeurs, cela dépend de la quantité d’hydrogène, son utilisation, la pression à laquelle il est soumis ainsi que la gravité de la fuite. Cette liste répertorie les principaux risques dans l’ordre croissant.
- Le risque acoustique. Une petite fuite peut endommager l’acuité auditive. A une telle pression, une petite fuite peut être plus bruyante qu’un avion au décollage, soit plus de 125dB.
- L’asphyxie. En cas de fuite dans un espace confiné, la concentration d’hydrogène peut causer des troubles de la respiration allant jusqu’à l’asphyxie.
L’hydrogène est un gaz qui, en contact avec l’oxygène, est très facilement inflammable. Cela représente les risques les plus importants à prendre en compte, à savoir :
- Le risque d’inflammation faible. En cas de fuite à faible débit, l’hydrogène se mélange à l’oxygène de l’air et, si nous nous trouvons à proximité d’un feu ou d’une étincelle, des flammes feront leurs apparitions.
- Le jet enflammé. Un jet enflammé apparaît lorsque le débit de la fuite est très important. Les températures atteintes par une telle flamme sont de l’ordre de 2100°C.
- La déflagration. Lorsque le débit est élevé ou lorsque la fuite a lieu dans un espace confiné, une déflagration peut avoir lieu. Le front de flamme de la déflagration se déplace à une vitesse subsonique.
- La détonation. Elle a lieu lorsqu’il y a une libération soudaine du gaz à très haute pression. La vitesse du front de flamme est supersonique (1980m/s pour l’hydrogène) et s’ensuit d’une violente onde de choc. Les dommages peuvent être considérables dans le cas d’une détonation.
Constitution d’un réservoir à hydrogène
Les risques liés aux réservoirs à hydrogène sont très importants et constituent la première des priorités des industriels. Un réservoir à hydrogène est construit de plusieurs couches :
- Une enveloppe interne étanche (aussi appelé liner). Elle a pour rôle de rendre le réservoir étanche à l’hydrogène et doit également répondre à une certaine élasticité.
- Une couche de renfort. Généralement constituée de fibre de verre ou fibre de carbone, c’est elle qui va être amenée à supporter la pression au sein du réservoir.
- Une couche de protection. Elle peut être de plusieurs matériaux différents (fibre de carbone, fibre de verre, polymères, structure en mousse, résines…). Cette couche ne sert pas à retenir l’hydrogène mais à protéger le réservoir de l’environnement extérieur. Des tests très poussés concernant la résistance du réservoir doivent être effectués en cas de choc violent. Il faut également que cette couche assure une excellente protection contre l’humidité. En effet, la corrosion peut endommager la structure si celle-ci est en métal.
Réservoir à hydrogène gazeux de la Toyota Mirai, la première voiture à hydrogène industrialisée à grande échelle Mario Roberto Durán Ortiz, Wikipedia
Les précautions prises et étudiées
Pour accroitre la sécurité des réservoirs, de nombreux tests de résistances aux chocs sont effectués. En cas de collision, le réservoir doit rester intact pour ne pas aggraver l’accident ou en causer d’autre. Lors de la fabrication, un coefficient de sécurité de 2.5* est respecté avant toute mise en service dans un véhicule.
Pour des réservoirs fixes, le coefficient de sécurité est de 1.5* étant donné qu’il sera beaucoup moins confronté aux aléas de l’environnement.
Les réservoirs doivent être équipés d’une soupape de sécurité comme second rempart. En cas de surpression ou d’inflammation, il est primordial de laisser l’hydrogène s’échapper, de manière contrôlée, pour diminuer la pression et atténuer les risques. Il est toutefois fortement conseillé de s’éloigner du réservoir.
* Coefficient de sécurité de 2.5 : surdimensionnement du réservoir. Il est en théorie capable de supporter jusqu’à 2.5 fois plus de pression que ce pour quoi il est destiné.
Stockage d'hydrogène liquide
Stocker de l’hydrogène gazeux à 700 bars pour augmenter sa densité est bien, mais réduire l’hydrogène à l’état liquide est encore mieux. En effet, la densité de l’hydrogène passe de 40kg/m3 à l’état gazeux sous une pression de 700 bars à 71kg/m3 à l’état liquide pour une pression de 1 bar !
Si stocker de l’hydrogène liquide résout tous les problèmes que posent le stockage de l’hydrogène gazeux, alors pourquoi est-il si peu répandu ?
La condition pour obtenir un liquide est de soumettre le matériau à un sous-refroidissement. Pour l’eau, la température à laquelle on est en sous-refroidissement est généralement en dessous de 373K (100°C) . Mais pour que l’hydrogène se liquéfie, il est nécessaire de le refroidir en dessous de 20.28K (-253°C). Une fois que l’hydrogène a été liquéfié, il faut le maintenir à ces faibles températures pour qu’il ne redevienne pas gazeux.
Le réservoir cryogénique d'Ariane 6 stocke l'hydrogène liquéfiée à -253°C
© ArianeGroup
L'association de l’oxygène et de l’hydrogène liquide permet d'obtenir une combustion suffisante pour propulser les 750 tonnes de l’Ariane 5 © CNES ESA Arianespace
Liquéfier l’hydrogène et le maintenir à l’état liquide demande tellement d’énergie que ce n’est pas encore envisageable de le voir dans la circulation, il n’est rentable de liquéfier l’hydrogène que pour de grandes quantités.
La quantité d’énergie nécessaire pour liquéfier l’hydrogène se situe entre 45MJ/kg et 220MJ/kg en fonction de la quantité à liquéfier !
C’est pourquoi l’hydrogène liquide n’est destiné qu’au domaine aérospatial à titre de carburant. L’hydrogène ne peut provoquer ni entretenir une combustion s’il n’y a pas d’oxygène dans la réaction. L’hydrogène liquide est alors aussi accompagné d’oxygène liquide pour provoquer et entretenir une combustion suffisante pour propulser les 750 tonnes de l’Ariane 5 dans l’espace, où l’oxygène n’existe pas.
Les risques avec l’hydrogène liquide sont liés aux fuites. Si une fuite est présente sur le réservoir, alors l’hydrogène sera évacué. Mais les températures sur Terre sont bien au-delà de la température de liquéfaction de l’hydrogène. Celui-ci se vaporisera instantanément au contact de l’air et gagnera énormément de volume. Le risque de détonation, surtout sur une fusée, est alors inévitable et bien plus important que celui d’un réservoir d’hydrogène gazeux (accident de la navette spatiale Challenger en 1986).
Stockage d'hydrogène solide
Le stockage sous forme solide de l’hydrogène est possible à travers deux procédés différents, l’adsorption et l’absorption. Dire que l’hydrogène est sous forme solide est un abus de langage. En réalité, l’hydrogène gazeux est absorbé ou adsorbé par un matériau qui, lui, est sous forme solide.
Stockage par l’adsorption
La physisorption est un phénomène physique où les molécules d’un élément forment des liaisons électriques (interactions de Van der Waals) avec un solide. Le fluide reste cependant uniquement sur la surface ou dans les pores du matériau adsorbant dans le cas de l’adsorption. La caractéristique principale de ce procédé est sa capacité à être totalement réversible. Cependant, pour obtenir une adsorption élevée, la physisorption doit être effectuée à des pressions élevées et à des températures avoisinants l’azote liquide (77K).
Le matériau le plus à même d’adsorber l’hydrogène est le charbon actif combiné à du graphite. Ce matériau permet de créer un réseau de pores pouvant fournir une surface de plusieurs milliers de m² contenu dans un gramme de charbon actif.
Malgré tout, stocker de l’hydrogène avec du charbon actif n’est pas très intéressant pour un usage pratique car, à température ambiante, la proportion d’hydrogène est seulement de l’ordre de 2%.
Des études sont menées pour améliorer les capacités de stockage de cette technique en utilisant des nanotubes de carbone. Cette structure augmente la densité d’adsorbant et par conséquent, la surface sur laquelle l’hydrogène peut être adsorbé. Pour une surface de 3 000m²/g, on atteint une proportion de l’ordre de 6% d’hydrogène.
Stockage par absorption
La chimisorption est un processus réversible qui a la particularité de combiner chimiquement un élément avec un matériau. En général ces matériaux sont de nature métallique dans le cas de l’absorption de l’hydrogène. On retrouve principalement du vanadium, du palladium et du magnésium pour leur grande capacité à stocker l’hydrogène. Cette combinaison donnera ce qu’on appelle des hydrures métalliques ou des complexes hydrogène-métal.
L’absorption diffère de l’adsorption par sa capacité à accueillir l’hydrogène au sein du matériau solide (pour simplifier).
La capacité de stockage est, pour certains métaux, si grande que la quantité d’hydrogène présente dans 1cm3 d’hydrure peut doubler celle contenu dans 1cm3 d’hydrogène liquide. Malheureusement, cela ne dépasse rarement les 10% de la masse total de la combinaison hydrure métallique.
Pour permettre au matériau absorbant d’effectuer plusieurs cycles de charge/décharge, l’hydrogène qu’il doit contenir doit être le plus pur possible pour ne pas le dégrader prématurément.